Molière : visage et masques
Molière : visage et masques
RÉSUMÉ
Depuis le XVIIIe siècle Molière est auréolé de toutes les vertus et de tous les
dons. Il est le Théâtre fait homme, l’incarnation miraculeuse de l’Esprit
français. La France se reconnaît en lui comme dans un miroir.
Mais il est des miroirs déformants.
Denis Boissier
(juin 2009)
Introduction
Il est délicat d’aborder la question de la personnalité de Molière (1622-1673). Il semble que tout ait été dit sur lui, et l’hyperbole était déjà de rigueur au XIXe siècle :
Molière, dans son vol, embrassant tous les âges,
Domine tous les temps, pénètre tous les cœurs :
Juge et peintre éternel des vices et des mœurs
En qui l’humanité, que son nom glorifie,
Se mesure en entier et se personnifie. (Charles Malo)1.
Molière ! J’aime, moi, ce hardi philosophe
Qui des travers humains a déchiré l’étoffe,
Qui le premier osa, dans un temps corrompu,
Prendre seul contre tous parti pour la vertu. (Alexis Martin)2.
« Molière ne ressemble à aucun type de la création inférieure. Il est véritablement formé à l’image de Dieu, suivant le symbole de la Genèse. Et comme les Athéniens recommandaient à leurs femmes, afin qu’elles procréassent de beaux enfants, d’orner leurs maisons avec les statues des gladiateurs et des héros, de même on pourrait conseiller aux matrones de notre temps de placer dans leurs alcôves le portrait de Molière. Les générations futures y gagneraient sans doute en beauté physique et morale. » (Théophile Thoré)3.
« Aimer Molière, j’entends l’aimer sincèrement et de tout son cœur, c’est, savez-vous, avoir une garantie en soi contre bien des défauts, bien des travers et des vices d’esprit. C’est ne pas aimer d’abord tout ce qui est incompatible avec Molière, tout ce qui lui était contraire en son temps, ce qui lui eût été insupportable du nôtre. Aimer Molière c’est être guéri à jamais, je ne dis pas de la basse et infâme hypocrisie mais du fanatisme, de l’intolérance et de la dureté en ce genre, de ce qui fait anathématiser et maudire… » (Charles-Augustin Sainte-Beuve)4.
C’est ce que l’historien Gérard Moret, dans sa thèse intitulée Molière : portrait de la France dans un miroir, appelle la « "folie" moliéresque »5, folie qui débuta au XVIIIe siècle, prit toute son ampleur au siècle suivant – et deux guerres mondiales n’ont pas entamé le culte que les Français lui vouent. Molière est un « homme d’une parfaite droiture, généreux, délicat » affirme en 1919 Pierre-Paul Plan6. C’est un « très honnête homme, très bon et généreux » réaffirme en 1950 Georges Mongrédien7. « C’est un écrivain irréprochable, aussi bien en prose qu’en vers, doublé d’un sage », confirme, si besoin était, en 2009 le rédacteur du knol « Molière », sous-titré « le plus grand auteur français ».
Durant deux siècles et demi Molière fut auréolé de toutes les vertus et de tous les dons. Parmi les vertus : l’honnêteté morale et intellectuelle, l’ouverture d’esprit, la droiture, la franchise, la lucidité. Parmi les dons : un renouvellement permanent des thèmes, une grande richesse lexicale, un talent hors pair de portraitiste, une culture encyclopédique, une grande rapidité d’écriture, un parfait naturel, une ironie mordante. Il est modeste de sa personne, généreux envers les humbles, charitable envers les miséreux. Sans oublier qu’il est beau. Tous les grands écrivains furent ses amis. Tous les gens de bien recherchèrent sa compagnie. Ses comédiens l’aimèrent comme un père, lui-même fut un bon fils et un bon époux. Il est le génie incarné de la Comédie et ne doit l’originalité et la profondeur de son théâtre qu’à lui-même, grâce à la cruelle expérience qu’il eut de la vie et des hommes. Il a dépassé son siècle d’une tête, et, près de lui, personne ne l’a réellement compris ni apprécié à sa juste valeur, tant le monde est rempli de jaloux et de médiocres. Ses adversaires ne furent que de tristes réactionnaires, pour la plupart "dévots" ce qui, pour tous ceux qui chérissent aujourd’hui Molière, est la pire des tares. Molière a tout lu, tout retenu, tout transcendé. Il a découvert Racine, soutenu Boileau et La Fontaine, donné du travail au "pauvre" et "vieux" Pierre Corneille. Il est le Théâtre fait homme, l’incarnation miraculeuse de l’Esprit français. Depuis 1789, la France idolâtre Molière et se reconnaît en lui, c’est la conclusion à laquelle est arrivé l’historien Gérard Moret, après cinq cents pages d’une thèse qui montre comment les Français ont voulu se voir en Molière comme dans un miroir8. Mais il est des miroirs déformants.
I- Pourquoi et comment se fabriqua l'Image d'Epinal de Molière
Il n’y a donc pas de solution miracle. On ne peut faire l’économie
d’aucune hypothèse, y compris celle du mariage incestueux.
Alfred Simon 9.
« En adorant Molière, en l’exaltant, en le surfaisant quelque peu, l’esprit français s’admire lui-même » constatait en 1886 le moliériste Jules Loiseleur10. Tout commença, alors que Molière était mort en 1673, avec l’image d’un « Molière parfaitement honnête homme » que proposait à la postérité le comédien La Grange et Jean Vivot, officier du Roi, dans la Préface de leur édition complète des Œuvres de Monsieur de Molière parue en 1682. Il importe de replacer cette Préface dans son contexte politique. En pleine ascension de la pensée dévote et, accessoirement, de la censure royale, Molière devait impérativement passer pour un « honnête homme », qui plus est « très-chrétien ». Le signor Visconti, de passage à Paris, remarque avec regret que « par la politique du Roi, la Cour devient un couvent de religieux et de religieuses »11. Dès 1673 on avait fait table rase de l’esprit féodal qui jusque-là vivifiait la France pour imposer le nouvel ordre moral dévot. Sous la férule d’un monarque plus que jamais absolutiste, les nouvelles générations crurent aux idéologies mises en place. Les jeux païens du jeune Louis XIV et les scandales de « son Molière »12 furent vite oubliés au profit d’une « bienséance » irréprochable. De même, les biographies de tous ceux qui fréquentèrent Sa Majesté furent corrigées, même celle du « bonhomme » La Fontaine, comme s’en plaindra son biographe Roger Duchêne : « Publié juste après la mort de La Fontaine, le témoignage de Charles Perrault s’inscrit déjà dans sa légende. A l’image du poète maudit, rejeté par les siens qui ne se reconnaissent pas dans un être singulier refusant de s’inscrire dans la tradition familiale, il substitue celle du poète "bon garçon", réalisant de son mieux les ambitions paternelles »13. La vie de Racine fut elle aussi édulcorée, puisqu’elle présentait des aspects désormais sacrilèges, notamment sa liaison avec la comédienne Marquise du Parc14. L’historien Raymond Picard écrit de Louis Racine, qui se voulut biographe de son illustre père : « il s’est trouvé condamné, en même temps que la génération à laquelle il appartenait, à ne rien comprendre à la carrière de son père. Car les perspectives sociales se sont transformées avec une rapidité surprenante, et ce qu’avait été la véritable situation du poète historiographe s’est immédiatement effacée de la mémoire des hommes »15.
L’on imagine bien, en plein acmé de propagande dévote, ce qu’a pu faire la censure posthume sur la vie et la carrière de Molière, et le peu de possibilité qu’eurent ses premiers biographes de dire la vérité sur celui qui avait été, de son vivant, un farceur redoutable, un « pendard insigne »16, un « démon vêtu de chair »17. Dès 1682, et plus encore en 1705, date de la première biographie complète (si l’on peut dire) de Molière, ce dernier fut métamorphosé en un "auteur" moral « parfaitement honnête homme ».
Telle est la leçon de l’Histoire : avant que le XIXe siècle ne voue un culte national à un « Molière de gloire », culte entretenu quotidiennement par l’Ecole publique (avec distribution de bons points à son effigie), il a existé un Molière en chair et en os, dont ses contemporains ont beaucoup parlé et qu’il faut, selon nous, prendre le temps d’écouter même si leurs jugements sont actuellement négligés. Car n’y a-t-il pas quelque partialité à ne vouloir connaître de ce XVIIe siècle si varié et si contrasté que le point de vue du seul Molière ? Certes, tout ce qui le concerne nous touche et nous émeut – et tout ce qui va contre lui nous agace mais, agissant ainsi, ne faussons-nous pas l’Histoire, et ne donnons-nous pas raison au célèbre Ferdinand Brunetière : « Lui sacrifier tous ses contemporains, c’est prouver qu’on ne le comprend pas »18.
La majorité des contemporains de Molière, toutes catégories sociales confondues, l’accablèrent d’un mépris ou d’une haine au moins aussi tenaces que l’admiration et l’amour que nous lui vouons. Pour autant, il serait faux de dire que, de son vivant, personne n’a applaudi Molière. Grâce à la magie du théâtre et des illusions qu’offre cet art, Molière, hier comme aujourd’hui, a toujours eu avec lui ceux qui aiment rire.
Pourtant, que Molière ait fait beaucoup rire, qu’il ait été un personnage social qui suscita un copieux légendaire, ne nous renseigne pas sur l’homme qu’il fut réellement. Sans les fards, les rubans, les perruques et les mimiques désopilantes, le Jean-Baptiste Poquelin historique est-il celui que les Français idolâtrent de façon posthume sous le nom de Molière ?
Notre "Molière" est antithétique au Molière historique. Pour les sujets de Louis XIV, Molière est un comédien spécialisé dans la farce et la satire, « le premier Farceur de France » comme le définit en 1660 Baudeau de Somaize19. « Toutes ses pièces sont d’agréables sottises » commente l’auteur anonyme de la Lettre satirique sur le Tartuffe (1669). A lire les témoignages de ses contemporains l’abîme qui sépare leur jugement du nôtre est infranchissable. Les derniers siècles ont-ils réinventé Molière comme ils ont réinventé Jeanne d’Arc ? Pour le moliériste Daniel Mornet, « on a échafaudé, étayé, consolidé, rapetassé tout un chantier d’hypothèses. Peu importerait, peut-être, si les ouvriers et les maîtres d’œuvre de ces chantiers s’étaient mis d’accord entre eux. Mais leurs constructions, quand on les compare, sont proprement incohérentes et nous avons aussi peu l’impression d’être chez le même Molière que si l’on nous promenait d’une exposition coloniale à une exposition d’architecture futuriste, d’un village suisse à une cité de gratte-ciel. Que de Molières en effet et dont chacun est la négation d’un autre Molière ! »20.
La critique moderne a suscité tellement de "Molières" qu’il n’y a pas un moliériste qui ne lui ait refusé une vertu ou un talent que ses confrères lui prêtaient, pas un qui n’ait retranché dans sa biographie tel fait qui lui paraissait trop suspect. A tel point que certains spécialistes affirment que le "Molière" ainsi vénéré n’est qu’une figure légendaire. Pour François Rey, « nous ne savons pour ainsi dire rien de la vie intérieure, affective, d’un homme dont on ne cesse depuis des siècles de commenter les joies, les espoirs, les déceptions, les lassitudes et les souffrances »21 et de constater que ce qui nous empêche de le voir tel qu’il fut « ce ne sont pas tant les présupposés idéologiques que les a priori affectifs. »
Pour connaître Jean-Baptiste Poquelin dit Molière, ne faudrait-il pas commencer par répondre à certaines questions qui "dérangent", mais que les faits historiques nous autorisent à poser ?
II- Les questions "dérangeantes" que les faits historiques nous autorisent à poser
Molière a-t-il fait des études ?
Pour la critique moderne Molière a été un « brillant élève » puisqu’il a signé des pièces qui prouvent une formation supérieure et une culture encyclopédique. Or aucun document n’atteste son admission dans une classe ou une formation universitaire, alors qu’il existe des documents pour tous les écrivains de son temps (Corneille, Racine, Boileau, La Fontaine…). La Préface à l’édition de 1682 des Œuvres de Monsieur de Molière précise que Molière est allé au célèbre collège de Clermont. Mais il est raisonnable de penser que c’est la célébrité de ce lieu qui a décidé le comédien La Grange et l’officier du Roi Jean Vivot à lui offrir une jeunesse studieuse et "politiquement correcte". En 1682 les Jésuites règnent en maîtres sur les mentalités et il faut que Molière soit un « parfaitement honnête homme ». Constatons aussi que de son vivant, aucun contemporain n’a dit que Molière avait fait des études, et lui-même n’y fait jamais allusion. En revanche, à quatorze ans il prête serment devant la corporation des Tapissiers. Ce qui signifie qu’il « a appris le métier paternel assez à fond pour être reçu "maître" par ses pairs, répondant par là même de sa compétence » conclut son biographe Georges Bordonove22. Puisque durant des années M. Poquelin a formé son héritier pour lequel il rêve d’un avenir honorable, puisqu’il obtient que Jean-Baptiste se présente à quatorze ans comme son successeur, il est illogique de penser que dans le même temps il lui ait permis de faire des études qui l’auraient éloigné des affaires.
Molière a-t-il fait des études de Droit ?
Beaucoup d’historiens pensent que Molière n’a pas étudié le Droit. L’université d’Orléans où Jean-Baptiste est censé avoir fait ses études juridiques, si l’on en croit Le Boulanger de Chalussay, faisait commerce de diplômes. Il est donc probable que Poquelin père, comme beaucoup de bourgeois, en a offert un à son aîné. Pour son biographe Roger Duchêne, qui ne croit pas que Molière ait fait sa scolarité au collège de Clermont, « s’il avait été avocat, il se serait pareillement valorisé par ce titre pendant son séjour en province »23. Or Molière, qui sut toujours se faire valoir, n’a jamais rien dit sur de prétendues études, et aucun jésuite ne s’est flatté de l’avoir eu pour élève.
Pourquoi n’a-t-il jamais voulu expliquer la signification de son pseudonyme « Moliere » ?
Dans son hagiographie parue en 1705, au plus fort de la propagande dévote, Grimarest écrit : « Ce fut alors que Molière prit le nom qu’il a toujours porté depuis. Mais lorsqu’on lui a demandé ce qui l’avait engagé à prendre celui-là plutôt qu’un autre, jamais il n’en a voulu dire la raison, même à ses meilleurs amis »24. Une légitimation pourrait-elle être la raison du silence de Poquelin sur l’origine de son pseudonyme ? Le moliériste Auguste Baluffe le pensait : « Avait-il tenu à prendre ce nom de Molière par droit de possession domestique et comme un page – un page de Lettres – prend les couleurs de son maître ? […] C’est encore et toujours à une explication de sentiment qu’il faut demander la raison d’être de ce pseudonyme de Molière »25.
L’acte qui officialise le pseudonyme « Moliere » date du 28 juin 1644. Qu’est-il arrivé d’important dans la vie du comédien quand il se décide à prendre ce pseudonyme ? Le seul événement d’envergure est un séjour à Rouen, durant le printemps et l’été 1643, séjour au cours duquel la Troupe fréquente celui que tous les comédiens considéraient comme le plus grand poète de leur siècle : Pierre Corneille. Comme l’écrit le moliériste Eugène Noël : « Qu’on se figure les relations qui durent s’établir ! »26. Poquelin n’a que vingt et un ans, son apprentissage dans la troupe de Madeleine Béjart commence à peine. Offert par Corneille, ce pseudonyme pouvait donner un sens fort à sa vocation. Il n’est plus un comédien amateur à l’instar de tant d’autres : il se voit remarqué et conseillé par Corneille qui, nous en avons de multiples exemples, a toujours aidé autrui. Le verbe molierer était particulièrement en usage dans le nord de la France durant les XVe et XVIe siècles. Il signifiait légitimer. Pierre Corneille était Normand. L’idée de ce pseudonyme peut-elle venir de lui ? Selon Charles Marty-Laveaux, Corneille était féru de vieux français : « Il n’est pas rare de lui voir accueillir des termes d’un usage assez peu répandu, oubliés par les lexicographes contemporains »27. Selon son biographe André Le Gall, Corneille « ne s’interdit pas d’user de formules, d’expressions qui viennent du vieux français »28. En donnant à Jean-Baptiste Poquelin son pseudonyme, Corneille, dont l’obsession est d’être joué par le plus de troupes possibles, a très bien pu faire de ce jeune comédien qui lui voue une si grande admiration son moliere/légitime. Notons que Pierre Corneille sera l’auteur que Molière jouera le plus, et le plus régulièrement – et celui qu’il paiera le mieux.
Molière était-il beau comme nous aimons à le croire ?
A notre connaissance un seul portrait a été fait de son vivant, celui que dessina en 1658 Roland Lefèvre, un ami de Molière (qui avait alors trente-six ans) :
Molière par Roland Lefèvre, 1658.
Le Cabinet des Estampes conserve la seule représentation qui nous soit parvenue du comédien Molière faite de son vivant. C’est une estampe populaire, aujourd’hui nous dirions sa photo de presse : la gravure de Simonin. Elle présente Molière-Sganarelle, trapu, le buste large, le cou épais, dans son habit de bouffon vert et jaune, les cheveux noirs et frisés, les narines larges et aplaties, les arcades sourcilières épaisses et brunes, la mâchoire forte – se penchant vers le public, son bonnet à la main :
Molière en habit de Sganarelle, par Simonin, vers 1662.
Les spécialistes sont d’accord sur un point : aucun des tableaux, dont certains sont célèbres, censés représenter Molière n’offre de certitude sur l’identité du modèle. Le tableau si connu de la Comédie-Française – sans nom ni date – montrant un comédien à la perruque bouclée dans un costume de tragédie peut tout aussi bien être le beau Floridor, interprète favori de Pierre Corneille.
Toile (0,79 x 0,62). Sans nom ni date.
Acheté très cher, sans aucune garantie d'authenticité, par la Comédie-Française le 19 février 1868.
Quant aux autres tableaux peints au XVIIIe siècle, pour le spécialiste Henri-Augustin Soleirol, ce « sont des compositions faites d’après le tableau du Musée ou d’après celui de Coypel ; d’où il résulte très probablement que la figure la plus connue, la plus accréditée pour être celle de Molière, est une figure de convention, enfin la figure d’un autre homme »29. Marie-Joseph Mahérault, autre spécialiste, écrit : « Je me méfie, et je crois avoir raison, de tous ces portraits qu’on nous donne pour des Molière et qui ne nous offrent peut-être, comme celui qu’a gravé Beauvarlet, que des personnages inconnus. Quelle garantie nous représentent-ils ? Aucune. […] Ne mettrons-nous pas un terme à cette rage d’inventer des portraits de Molière ? »30.
Ses contemporains ont décrit Molière. Il a « le nez gros, la bouche grande, les lèvres épaisses, le teint brun, les sourcils noirs et forts » (Mlle Poisson)31. Il a « une volubilité de langue, dont il n’était pas le maître » (Grimarest)32. Il est « trapu », a des « jambes grêles », et il est handicapé par un hoquet perpétuel. « Molière n’était pas beau […] il faut même parler de laideur » conclut l’historien Antoine Adam qui ajoute : « les gravures de Brissart en 1682 prouvent qu’il était bas sur jambes, et que le cou très court, la tête trop forte et enfoncée dans les épaules lui donnaient une silhouette sans prestige. Les plaisanteries de Le Boulanger de Chalussay n’ont de sens que si Molière pouvait presque passer pour un bossu »33. Comme le constatait le moliériste Gustave Larroumet, « mieux fait et avec des traits plus fins, aurait-il pu réussir complètement dans la comédie et dans la farce ? »34.
Molière fut-il le Bouffon du Roi ?
En 1677, Charles Jaulnay témoigne dans son Enfer burlesque que Molière
[…] était homme de pouvoir,
Car, malgré sa mine bouffonne,
On voyait près de sa personne
Un grand nombre de courtisans,
Fort bien faits, et très complaisants,
Vêtus d’un beau drap d’Angleterre,
Qui pliaient le genou en terre
Devant ce marmouset hideux,
Qui se moquait encore d’eux
Avec leurs sottes complaisances
Et leurs profondes révérences. […]
Le terme de « marmouset » signifie, selon le dictionnaire de Furetière, « un homme mal bâti », caractéristique qui a toujours été celle des bouffons du Roi et, nous l’avons vu, Molière était loin d’être beau.
Louis XIV le pensionne en tant que « bel-esprit ». Colère des autres pensionnés. Pour le moliériste Gustave Larroumet, « un bouffon, auteur de quelques grosses farces et de deux ou trois comédies mal intriguées, mis au rang des hommes de lettres les plus considérables ! En l’inscrivant sur sa première liste de pensions, Louis XIV heurtait le préjugé plus directement encore que ne l’eût fait Napoléon 1er en comprenant Talma parmi les premiers membres de la Légion d’honneur »35. L’ « emploi »36 qu’occupait Molière auprès du Roi étant connu de tous, le gazetier Charles Robiniet l’assimile à Momus, bouffon de Jupiter :
[…] L’admirable et plaisant Molière,
Le Mome des terrestres Dieux,
Comme l’autre est Molière aux Cieux […]37
Enfant, Louis XIV avait pour bouffon le célèbre Scaramouche. Adulte, au moment de prendre le pouvoir, quoi de plus logique qu’il se soit choisi un Bouffon du Roi en la personne de Molière ? Comme l’explique le dix-septiémiste Gustave Larroumet, « qu’était-ce que Molière aux yeux de Louis XIV ? Un nouveau Scaramouche, élève et rival de l’autre, moins grossier, plus recommandable de mœurs, mais, comme l’autre, se donnant corps et âme à son métier »38. Le Roi usa et abusa de Molière et de ses compagnons de scène. Pour Edouard Thierry, « la Troupe appartenait au Roi de fait comme de nom. Il la prêtait aux Parisiens, quand elle n’était pas retenue pour son service. C’était encore une générosité »39.
La tradition rapporte que Sa Majesté a beaucoup ri à la farce de L’Amour médecin (1665). Si cette charge avait été le fait d’un écrivain vindicatif, et non de son bouffon, croit-on que Louis XIV aurait ri à une pièce qui fustige publiquement quatre hommes éminents à l’autorité desquels la famille royale s’en remet pour se bien porter ? De tous temps les Bouffons du Roi ont eu pour « emploi » de se moquer des travers de ceux qui approchaient Sa Majesté. L’historien Edouard Fournier raconte que l’illustre Guillaume « avait plus qu’aucun privilège d’amuser Henri IV et d’être souvent mandé au Louvre. Le Roi se donnait le plaisir de lui faire mettre en farce les ridicules de caractère, d’allure ou de langage des seigneurs qui se trouvaient là. Ainsi, rien ne le divertissait plus que de lui voir jouer les façons gasconnes du maréchal de Roquelaure »40.
Un autre indice de la fonction officielle qu’occupait Molière nous est donné par Louis XIV lui-même. Extraordinairement protégé par Sa Majesté, Molière, s’il avait été un véritable écrivain, aurait eu sa propre salle de théâtre. Mais Louis XIV, qui se s’est jamais fait d’illusions sur lui, l’a toujours cantonné avec la troupe des farceurs de l’Italien Scaramouche à la réputation sulfureuse. Pour le moliériste Jean-Jacques Weiss, « Molière ne s’est senti bien à l’aise, bien au large, que dans les farces poussées aux dernières limites de l’extravagance et de la grossièreté sans loi »41. Et son biographe George Toudouze nous apprend que « Molière aime le vert, la couleur verte »42. Ce que confirme le moliériste Edouard Fournier : « En adoptant le vert, Molière avait fait choix de la couleur des bouffons »43. Même conviction chez son autre biographe Jean Meyer : « Le vert, couleur des bouffons, est sa couleur et domine dans son appartement »44.
Molière dînant avec Louis XIV (Ingres, 1857).
Personne n'était admis à la table de Louis XIV, même pas les princes.
Mais les bouffons du Roi ont toujours eu ce privilège.
Molière était-il l’auxiliaire de la politique absolutiste de Louis XIV ?
Pour son biographe Ramon Fernandez, « Louis XIV n’était sans doute pas fâché de laisser faire à Molière la police de la Cour, et quand ce dernier nous annonce que les marquis vont remplacer les valets de comédie, il n’est pas douteux qu’il eût pris ses assurances du côté du roi »45. Le rôle du Bouffon du Roi étant d’être au service de la politique du Roi, il est logique que durant sa carrière parisienne (1658 à 1673) Molière ait reçu l’ordre de s’en prendre :
- aux marquis qui faisaient perdre son temps au Roi (Les Fâcheux, L’Impromptu de Versailles) ;
- aux comédiens de la Troupe Royale qui ennuient le roi avec des tragédies aux vers « ronflants » (L’Impromptu de Versailles) ;
- aux Précieuses qui avaient la volonté de s’émanciper (Les Précieuses ridicules, La Comtesse d’Escarbagnas, Les Femmes savantes) ;
- aux intellectuels et aux érudits non pensionnés (donc indépendants) regroupés sous le titre commode de "pédants" (La Critique de l’Ecole des Femmes, Les Femmes savantes) ;
- aux dévots (L’Ecole des Maris dans son premier acte, Tartuffe, Dom Juan) notamment au prince de Conti) ;
- aux maris égoïstes qui ne veulent pas prêter leur femme à leur Roi (La Princesse d’Elide, Amphitryon) ;
- à celles qui auraient la mauvaise pensée de douter de l’amour du Roi (Les Amants magnifiques) ;
- aux médecins du Roi qui font de ce dernier, royauté oblige, le terrain d’expérience des théories médicales les plus avancées (L’Amour médecin) ;
- à tous ceux qui veulent accéder à la noblesse pour échapper à l’impôt (George Dandin, Monsieur de Pourceaugnac, Le Bourgeois gentilhomme) ;
etc.
Pour l’historien Philippe Beaussant, « que Molière ait joué le rôle d’un porte-parole détourné, officieux, d’une pensée politique de Louis XIV semble aujourd’hui une évidence. […] Il faut noter l’incessante convergence de ce qui est dit dans chacune de ses comédies avec la pensée du roi sur le sujet traité : je crois bien qu’on ne trouverait pas une seule exception »46.
Molière fut-il « impuissant » et « cocu » comme l’ont dit ses contemporains ?
L’auteur du Testament de Monsieur Scarron (1660), publié deux ans avant le mariage de Molière, ne trouve à léguer à Molière que le « cocuage ». Le moliériste Edouard Fournier s’étonne d’une telle « vision prémonitoire ». Mais l’auteur anonyme ne prédit rien. Il sait seulement que le vieux verbe molierer, et par extension le mot moliere, a une double connotation sexuelle et féminine, et qu’en langage burlesque un mulier/molier/moliere ne peut être qu’un efféminé. Pour le moliériste Edouard Thierry, « sans rechercher inutilement pourquoi le jeune Poquelin a voulu s’appeler Molière, on peut remarquer, comme simple rapprochement, que le nom choisi par le poète de la femme est le nom de la femme elle-même : Mulier. – Mulier, Mollis aer, a dit un autre grand poète de la femme (Shakespeare, Cymbeline). Nous sommes encore plus près de Molière »47. Il est probable que mollis aer (air tendre) est à rapprocher de moliere, et qu’est venu, par extension, le verbe molierer/légitimer. Dans l’ancien temps il était fréquent qu’un roi moliere une femme vivant maritalement avec un homme ou qu’un cultivateur moliere une terre48, d’où les nombreuses terres molieres.
Molière dut une grande part de son succès à ses nombreuses interprétations de cocus, rôle qui amusait Louis XIV, lequel ne se lassait pas du personnage de Sganarelle « le Cocu ». Dès les débuts parisiens de Molière, ses adversaires l’ont accusé d’être dans la vie ce qu’il jouait si bien sur scène. Ils proclamèrent qu’il était « impuissant » et firent des gorges chaudes de ce que sa jeune femme Armande le trompait ouvertement. Et le moliériste François Rey de constater, après mille autres : « C’est un trait permanent dans l’œuvre de Molière : il écrit pour lui-même presque exclusivement des rôles dans lesquels il est ridiculisé, bafoué, insulté, dupé, cocufié, souffleté, bastonné »49.
Molière était-il homosexuel ?
Pour le moliériste Jacques Audiberti il ne fait aucun doute que le nom Molière signifie « Lafemme », « Lépouse »50. L’origine du nom Molière s’accorde donc avec l’aspect efféminé que semble revendiquer le Comédien, lequel sera membre d’un club de libertins homosexuels appelé les « Neuf Epulons ». Pour Roger Duchêne, « cette complicité dans les plaisirs de la table se double sans doute d’une complicité plus trouble. Vers 1660, Chapelle fera partie avec Molière et Fauvelet du Toc d’un groupe de neuf amis où ne figurent que des libertins notoires, presque tous homosexuels. On y trouve notamment Des Barreaux, "la veuve de Théophile", jadis débauché et déniaisé par lui, qui se plaît à faire le plus de scandale possible en étalant son impiété »51. Souvenons-nous aussi du personnage de Mascarille qui fit tant pour la célébrité de Molière : il s’habille en femme dans une scène de L’Etourdi (III, 8), ce qui a été pour le public d’alors une scène emblématique puisqu’elle illustre le frontispice de l’édition de 1682. Notons aussi que ses amis Dassoucy, Chapelle, Lully, Charpentier…étaient homosexuels, ainsi que son premier protecteur Philippe d’Orléans, frère du Roi. Enfin, divers documents stigmatisent ses rapports avec son protégé Baron, jeune comédien de treize ans52. Pour le moliériste Yves Giraud, « la liaison homosexuelle de Molière avec le tout jeune comédien ne peut-être traitée de pure calomnie »53.
Molière fut-il « incestueux » envers sa fille Armande ?
Racine écrit en 1663 à l’abbé Levasseur : « Montfleury a fait une requête contre Molière et l’a donnée au Roi. Il l’accuse d’avoir épousé sa propre fille. Mais Montfleury n’est point écouté à la Cour. » Et le moliériste Louis Loiseleur de commenter : « Mot d’un laconisme presque cynique »54. A notre connaissance, Racine n’a jamais montré pareil « cynisme » envers aucun de ses confrères écrivains. Et comme l’ont fait remarquer de nombreux historiens : pour prouver que cette accusation était une calomnie, il aurait suffi à Molière de montrer les papiers qui l’innocentaient, mais il n’en fit rien. Louis XIV ayant fait de Molière son bouffon attitré, il n’y aura ni enquête ni procès.
Molière fut-il un « libertin », un « mécréant », un « athée » ?
Les documents attestent que Molière passait pour un libertin et un mécréant, avec la connotation forte qu’avaient alors ces termes. Pour François Rey, « Molière hante des incrédules et des impies, et je ne crois pas qu’on lui connaisse un seul ami déclaré parmi ceux que Cléante, le "raisonneur" du Tartuffe, appelle "les bons et vrais dévots, qu’on doit suivre à la trace". […] Pour ma part, je comprends mal les étranges scrupules dont tant de biographes sont assaillis, à l’heure de se prononcer sur la religion de Molière. Les mêmes qui ailleurs taxent hardiment d’hypocrisie le prince de Conti et ses confrères de la Compagnie du Saint-Sacrement, sans se soucier d’en fournir le moindre indice, hésitent soudain à appeler un chat un chat et Molière un athée »55.
Historiquement, le théâtre moliéresque est une synthèse de trois genres connexes : la farce, la satire et le carnaval. Pour l’historien Antoine Adam, « toutes les polémiques du temps ont accusé Molière d’avoir compromis l’œuvre morale entreprise au théâtre depuis Richelieu »56. En raison du rôle social que joua Molière en tant que « bouffon du temps » (Montfleury, 1663), l’historien des Lettres Gustave Lanson en vint, à propos de la morale de Molière, à « se demander s’il en a une, et si ce n’est pas nous qui la lui prêtons ? »57.
Pourquoi Molière fut-il considéré de son temps comme "l’ennemi public n°1" ?
Pour l’historien Louis Petit de Julleville, « le Roi, d’une part, et le peuple non prévenu, le peuple illettré, de l’autre, goûtaient vivement Molière. Mais les gens de Cour, les gens du monde, les gens du Parlement, les gens de Lettres lui étaient pour la plupart hostiles ; on ne le louait qu’avec toutes sortes de restrictions »58. Pour ses contemporains, Molière exerçait une profession « ignoble ». Parlaient-ils de son métier de comédien, comme on le prétend aujourd’hui ? Tabarin, Scaramouche, Montfleury ou Poisson furent des farceurs et/ou des bouffons publics, et personne n’a jamais songé à les taxer d’ignominie. Pour Le Boulanger de Chalussay, Molière est le « premier fou du Roy »59. Il nous apprend qu’on montrait du doigt Molière lorsqu’on l’apercevait dans la rue :
Aucun n’est sans plaisir de vous voir bafoué.
L’un qui vous voit passer près de lui dans la rue,
Vous montre au doigt à l’autre, et cet autre vous hue60.
L’ostracisme subi par Molière à cause de son « emploi » auprès du Roi est tel que la Gazette officielle n’a jamais mentionné son nom. Pour la même raison, Le Journal des savants ne citera jamais le nom de Molière. Personne, non plus, ne songera à étudier "son" théâtre puisque, alors, tout le monde le savait écrit par plusieurs plumes61. L’Eglise refusera à Molière, et à lui seul, un enterrement en terre chrétienne.
Selon son ami le médecin-voyageur François Bernier, Molière avait projeté, peu avant de mourir, de fustiger le doyen de la faculté de théologie. Tout lui était donc permis. Et ceci explique pourquoi son théâtre contient tant de pointes envers des contemporains facilement identifiés par le public de l’époque (Alceste serait le duc de Montauzier, Philaminte Mme de La Sablière, Tartuffe le prédicateur Gabriel de Roquette, Trissotin l’abbé Cotin…). Comme l’écrit Antoine Adam, « les historiens qui refusent d’admettre ce goût de Molière pour la satire la plus personnelle, sont sans doute de belles âmes, mais ils se moquent de nous »62. Et lorsque les moliéristes discernent chez Molière, jusque dans Le Malade imaginaire, une profondeur inégalée, l’éminent historien est obligé d’en conclure que « les critiques qui admirent là une vue profonde de moraliste et de sociologue n’ont pas le sens du ridicule »63.
Molière était-il l’ami des écrivains ?
Considérant Molière comme un « grand auteur » nous trouvons naturel qu’il ait été l’ami des écrivains de son temps, notamment de Racine, de La Fontaine et de Boileau. Les documents et les témoignages ne vont pas dans ce sens. Dans la Préface des Plaideurs (1668) Racine dit du mal de la bouffonnerie qu’incarnait Molière. Son fils Louis Racine, recherchant des témoignages de l’amitié entre son père et Molière, confesse : « Quelque curieux que j’aie été d’en apprendre, je n’ai rien trouvé de certain en ce genre… »64. En dépit de ce que l’hagiographie mise en place après 1680 laisse entendre, ni Racine ni La Fontaine ne furent des amis, au sens moderne de ce mot, de Molière. Racine pas plus que La Fontaine n’ont publié le moindre mot en faveur de celui qu’on appelait le « méchant folastre »65. La Fontaine n’appréciait pas le théâtre moliéresque : « Je ne sais pas ce que Molière pensait des Contes de La Fontaine, mais pour celui-ci que j’ai fort connu, il était indigné contre certains caractères que Molière a mis sur le théâtre » écrit Le Verrier 66. Quant à son ex-protégé Boileau, pas une seule fois il ne mentionne Molière dans sa longue correspondance. Notons aussi que jamais un écrivain ne lui a, de son vivant, dédié une œuvre. Nous ne comptons évidemment pas la Satire II que lui a adressée Boileau dans laquelle il persifle sa « fertile veine » :
Rare et fameux esprit, dont la fertile veine
Ignore en écrivant le travail et la peine ;
Pour qui tient Apollon tous ses trésors ouverts,
Et qui sait à quel coin se marquent les bons vers. […]
Dans leurs commentaires manuscrits, Boileau et son disciple Le Verrier avoueront : « L’auteur donne ici à son ami une facilité de tourner un vers et de rimer, que son ami n’avait pas, mais il est question de le louer et de lui faire plaisir »67. Un témoignage confirmé en 1705 par Grimarest, qui précisera, dans sa Vie de M. de Molière, que ce dernier « était l’homme du monde qui travaillait avec le plus de difficulté », et quelques pages plus loin : « comme je l’ai dit, il ne travaillait pas vite, mais il n’était pas fâché qu’on le crût expéditif. »
Molière fut-il un poète de génie ou un farceur ?
Rares sont les moliéristes qui, comme Alfred Simon, acceptent que Molière ait été un farceur dans le sens le plus précis du mot : « Héritier des farceurs du Pont-Neuf, il n’a jamais dédaigné les grosses ficelles du rire populaire, les plaisanteries scatologiques, les blagues obscènes, les gauloiseries ; pas plus que les bastonnades et les coups de pied au cul ; ni les cocus, ni les bossus, ni les bègues, ni les boiteux ; ni la colique ni la quinte »68. Molière lui-même ne s’est jamais considéré comme un homme de Lettres. Le seul maître qu’il s’est reconnu fut Scaramouche69. Molière s’est toujours présenté comme comédien, et c’est ainsi que le définit le Dictionnaire de Bayle : « Molière fameux comédien »70. Dans son tableau Les Farceurs français et italiens depuis soixante ans et plus (1670) Verio qui, dit-on, rencontrait souvent Molière aux soupers de la troupe de Scaramouche, place Molière avec les farceurs de son temps. Pour l’historien Edouard Fournier, « on voit par la manière dont on le fait figurer avec eux qu’on le tient bel et bien pour leur pareil. De son temps, en effet, il ne passait point pour autre chose »71.
Les Farceurs français et italiens depuis soixante ans et plus (Verio, 1670). Comédie-Française.
De gauche à droite : Molière dans le costume de Sganarelle (ou celui d’Arnolphe), Jodelet, Poisson, Turlupin, le Capitan Matamore, Arlequin, Guillot-Gorju, Gros-Guillaume, le Docteur Grazian Balourd, Gaultier-Gargouille, Polichinelle, Pantalon, Philippin, Scaramouche, Brighelle, Trivelin.
La critique moderne allègue que plusieurs de ses contemporains ont parlé de Molière en tant qu’"auteur" et même "illustre auteur". L’argument est irrecevable. Au XVIIe siècle on est "auteur" quand on est imprimé – et Molière fut très souvent imprimé. De même est "auteur" d’une pièce le comédien qui la présente au public. Là encore, Molière peut prétendre à la qualification d’"auteur" puisqu’il assuma l’entière responsabilité de toutes les pièces qu’il signa, comme le faisaient d’ailleurs toutes les vedettes de la scène : Hauteroche, Montfleury, Champmeslé, Poisson, Philipin… Les pièces "créées" par ces comédiens étaient publiées sous leur nom, mais ils n’en furent pas les auteurs au sens moderne de ce mot. On dit que Molière fut l’exception. Mais rien dans sa carrière ni dans sa biographie ne confirme l’"exception Molière". Au contraire, ses contemporains n’ont jamais cessé de le traiter de plagiaire ou d’entrepreneur de spectacles. Citons, par exemple, l’écrivain Philippe de La Croix qui en 1663 voyait en Molière « un homme qui n’est riche que des dépouilles des autres »72.
Il nous plaît de nous imaginer Molière écrivant des chefs-d’œuvre sous l’inspiration de son génie, mais pour cela, encore faudrait-il qu’il en ait eu le temps nécessaire et la disponibilité d’esprit. Molière avait déjà tant d’occupations éreintantes ! En tant que vedette, il jouait les rôles les plus longs. Il était le régisseur du théâtre le plus rentable de Paris. Chef de troupe, il assura plus de 130 pièces et 2 500 représentations. De plus, selon son camarade La Grange, il fut un courtisan « très assidu »73. Occupant l’« emploi » de bouffon auprès du Roi, Molière avait en outre en charge les Divertissements de la Cour : théâtre, ballets et fêtes, mais aussi carnavals, charivaris, mascarades, parades et soirées. Ces multiples occupations professionnelles sont déjà tellement accaparantes que l’on ne voit pas comment il aurait pu, dans le même temps, vivre la vie d’un Racine ou d’un Pierre Corneille, consacrant des milliers d’heures à l’écriture de pièces en alexandrins (dont beaucoup ressemblent à s’y méprendre à ceux de Corneille74), des milliers d’heures à leur correction et des milliers d’heures de lecture car Molière, nous l’avons dit, semble avoir tout lu et tout retenu.
Molière était-il un comédien prête-nom ?
Sous Louis XIV, neuf comédies sur dix furent signées et publiées par un comédien ou de façon anonyme. Toutes les vedettes de la scène étaient "auteurs" des pièces dont elles assuraient la création et la réclame. En raison de la triple oppression du Pouvoir, de l’Eglise et de la Sorbonne, les comédiens étaient les prête-noms d’écrivains qui, sans eux, étaient condamnés au silence ou à l’anonymat complet. Dans ces conditions, on peut s’interroger sur la qualité d’"auteur" de Molière et se pose la question de la paternité de ses œuvres75. Puisqu’il est avéré que Corneille a écrit la quasi totalité de la pièce Psyché (1671) sans pour autant s’en dire l’"auteur", et que cette pièce fut publiée sous le seul nom de Molière, pourquoi les autres grandes pièces où l’on retrouve des similitudes avec l’alexandrin cornélien se seraient-elles pas de Pierre Corneille ? Corneille et Molière se connaissaient depuis 1643. Corneille avait besoin d’argent et Molière, grâce au Roi, était riche. Corneille avait une formation de basochien satiriste et avait été au début de sa longue carrière qualifié de « premier poète comique » de son temps. Quand Molière entame sa carrière parisienne (après avoir passé six mois à Rouen auprès de Corneille), Corneille ne peut plus écrire de tragédies sans qu’elles soient aussitôt critiquées par les doctes et dédaignées du public – et il ne peut, sous son nom, proposer des comédies. De son côté, Molière n’a pas une minute à lui pour écrire dans un laps de temps fort court tous les spectacles que Louis XIV lui réclame. Son contemporain Adrien Baillet, qui était un érudit, écrit : « On prétend qu’il ne savait pas même son théâtre tout entier, et qu’il n’y a que l’amour du peuple qui ait pu le faire absoudre d’une infinité de fautes »76. Au XVIIe siècle, les comédies, genre honni par l’élite, étaient des spectacles sans aucune prétention littéraire, écrits à plusieurs plumes. Puisque ses contemporains l’ont souvent accusé de n’être qu’un entrepreneur de spectacles ou, pour le dire avec les mots du gazetier Charles Robinet « un bassin qui reçoit ses eaux d’ailleurs »77, ne peut-on pas admettre que Molière a été, aussi souvent que nécessaire, le prête-nom d’écrivains78 qui, autant que lui, trouvaient leur compte dans une pratique quasiment institutionnalisée. Hauteroche fut le comédien prête-nom de Thomas Corneille, et le célèbre Champmeslé celui de La Fontaine…
Jean-Baptiste Poquelin a toujours signé « Moliere », sans accent. La signification du signe . /. n'est pas établie.
III- Que faire des leçons de l’Histoire ?
Les biographies ont un danger. L’isolement où s’y trouvent placés
les personnages dont on s’occupe leur constitue une sorte de grandeur
qu’ils n’avaient point dans le milieu où ils ont vécu.
Charles-Louis Livet79
Durant trois siècles, ceux qui ont prétendu aimer Molière n’eurent de cesse de nier celui qu’il fut pour le transformer au gré des idéologies successives. Sous la Troisième République, il était interdit, par exemple, d’évoquer ses liens étroits avec le théâtre de tréteaux et la farce. Gustave Lanson fut insulté publiquement pour avoir rappelé que Molière, pour ses contemporains, n’avait été qu’un « farceur ». Tout aussi injustes envers lui, les XIXe et XXe siècles en ont fait un parangon des vertus bourgeoises. Or l’homme que fut Jean-Baptiste Poquelin a le droit d’exister, ou plutôt d’avoir existé. Mais on lui refuse ce droit. Accepter les gens tels qu’ils furent ne devrait-il pas être le premier devoir des historiens ? Mais il est plus facile de gommer que d’accepter et de comprendre ce qui déplaît. Le moliériste Jules Loiseleur écrivait en 1877 : « Que les mœurs de Molière n’eussent rien de commun avec celles de Dassoucy, son ami, et du duc d’Orléans, son protecteur, sa vie tout entière et son noble caractère nous en sont de sûrs garants, sans qu’il soit besoin d’autre démonstration. […] Ce sont là de ces questions qu’il est inutile de chercher à résoudre. Molière lui-même ne paraît pas s’être posé celle-là : ne soyons pas plus curieux qu’il ne le fut, et voyons les choses par leur bon côté et sous leur plus beau jour »80. Il faut donc voir, dès qu’il est question de Molière, « les choses par leur bon côté ». Molière avait donc des mauvais côtés ? Le supposer enclin à des mœurs qui sont celles de ses compagnons81, l’envisager sous son moins beau jour, voilà ce que n’admet pas le point de vue petit-bourgeois de ceux qui prétendent l’aimer et, comme l’écrivait Sainte-Beuve, « être guéri à jamais, je ne dis pas de la basse et infâme hypocrisie mais du fanatisme »82.
Plutôt que de reconnaître à Jean-Baptiste Poquelin le droit d’être ce qu’il fut, et d’accepter que sa jeune épouse puisse n’avoir pas tous les torts, les biographes préfèrent accabler Armande. La moliériste Sylvie Chevalley réclamait un peu de justice : « La gloire de Molière rend difficile une appréciation équitable de la personnalité d’Armande Béjart. L’admiration si justifiée portée à l’écrivain et à son œuvre se transforma à la fin du XIXe siècle en révérence, l’essor des études moliéresques au XIXe siècle donna naissance à un véritable culte. Il fallut dès lors adorer en bloc l’œuvre et l’homme, et condamner sans nuances tous ceux qui avaient osé – Molière vivant – critiquer son œuvre, ou qui avaient vu en lui, dans l’intimité quotidienne, un homme, avec ses imperfections d’homme »83.
D’autres occultent son « emploi » auprès de Louis XIV. Mais n’est-ce pas nier en Molière ce à quoi il tenait le plus, ce dont il était le plus fier – peut-être même sa seule justification auprès de tous ceux qui l’insultaient ? Car ne se vante-t-il pas par trois fois dans L’Impromptu de Versailles (1663), avec la franchise de celui qui connaît son « bonheur »84, d’être aux ordres de Louis XIV et en service commandé ?
On dissimule aussi autant que faire se peut l’aspect "parvenu" de Molière, son côté "marchand". Qui aujourd’hui sait que Molière fut l’un des trente actionnaires, avec Colbert et le Roi, d’une compagnie d’assurances pour nantis et privilégiés ? On le veut « modeste de sa personne », mais comme le remarquait le moliériste François Rey, « ce qu’on sait de sa fortune, les couverts qu’il fait fabriquer à ses armes (des armes !), son application à signer "J.B. Poquelin de Molière », tout cela indique assez clairement qu’il y a du Monsieur Jourdain chez lui »85. On le dit « charitable envers les miséreux », mais le seul à le laisser croire est Grimarest qui, aux ordres de la Censure, écrivait avec sa Vie de M. de Molière une hagiographie. Pour François Rey, « que cet homme toujours dépeint comme généreux n’ait jamais fait imprimer ne fût-ce qu’un mot de gratitude à l’égard de ses camarades, a tout de même de quoi troubler »86. On le dit « bon fils » et l’on allègue qu’il prêta sans se faire connaître de l’argent à son vieux père malade. Mais on ne précise pas, comme a eu l’honnêteté de le faire son biographe Roger Duchêne, que « le but de l’emprunt et de la contre-lettre d’août 1668 n’étant pas pour Molière de prêter de l’argent à son père sans qu’il le sache, mais d’avoir sur lui, avec sa complicité, une créance sur sa maison que ses cohéritiers ne pourraient pas lui contester »87.
On a bien plus encore édulcoré le combat politique "anti-bouffon du Roi" qui de 1659 à 1673, soit durant toute sa carrière parisienne, fut mené contre Molière. Pour ceux qui ont fait de ce dernier un « pré-républicain », il n’est bien évidemment pas question de reconnaître qu’il fut l’un des plus zélés courtisans d’un roi absolutiste.
Ce sont là quelques exemples de la façon dont on a, peu à peu, éliminé chez Molière les aspects qui déplaisaient. On ne pouvait plus faire marche arrière : Molière devait impérativement être « notre contemporain ». On a ainsi accumulé les pieux mensonges par omission plutôt que de toucher à l’image d’Epinal à laquelle on tenait tant, et celle-ci a désormais plus de poids que sa personnalité véritable. Grâce à elle, le célèbre Jules Claretie a pu affirmer « qu’en France Molière est ce qui nous divise le moins »88. Son identité foncière est niée au profit d’une "hagiographisation" toujours plus exigeante. Il y a du « politiquement correct » dans toute biographie officielle de Molière.
N’est-il pas temps de ne rien cacher de qui fut Jean-Baptiste Poquelin, même si cela déplaît à ses « dévots »89 ? N’est-il pas souhaitable de révéler toutes les facettes d’une vie et d’une carrière que l’on ne peut plus comprendre si on les édulcore ? C’est parce que l’on n’a jamais osé aimer Molière pour ce qu’il fut véritablement qu’on en est venu à l’idolâtrer et à lui octroyer un "génie littéraire" dont il n’avait que faire, lui qui n’a peut-être jamais rien écrit de sa main, en tout cas qui n’a laissé aucun texte manuscrit, pas même une correspondance, pas même une lettre éditée par un tiers – et qui n’a jamais corrigé aucune des multiples éditions de "ses" pièces. Quel étrange destin que celui de Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière ! Voilà un homme qui, à cause des moeurs étroites et rigides de son temps, n’a pu exprimer certaines idées qu’en suscitant la haine de l’élite et le rire trop facile du « parterre » – et qui, de façon posthume et tout aussi injustement, a été censuré dès 1682, dénaturé en 1705, métamorphosé en 1790… puis récupéré, méconnaissable, par l’idéologie des artisans de la Troisième République.
Pierre Corneille (1606-1684) fut présent à toutes les étapes décisives
de la carrière de Molière : 1643, 1652, 1658, 1670, 1671.
Conclusion
Ainsi que nous le disions en introduction, les trois derniers siècles, développant toujours plus l’hagiographie qu’avait imposée la politique dévote de Louis XIV devenu « roi très-chrétien » ont fait de l’"auteur" Molière le parangon de l’Esprit français et, de l’homme Molière, « le plus amical, le plus délicat, le plus tendre et le plus accessible aux détresses d’autrui » (Georges Bordonove)90. Son « emploi » de Bouffon du Roi fut occulté et, dans une vision idéaliste on préfère voir en lui une espèce de « surintendant des Fêtes royales » ainsi que le définit son dernier biographe Christophe Mory91. Tant il est vrai que les mots sont comme des habits qui cachent la nudité de la vérité. Pour ceux qui se font « une religion de la mémoire de Molière »92, selon l’expression d’Edouard Thierry, ancien Administrateur de la Comédie-Française, le dogme moliériste est devenu parole d’évangile et les questions que nous nous sommes posées sont cataloguées "hérésies".
L’historien Gérard Moret a écrit qu’il y a dans le cas si singulier de Molière « trop de certitudes à trop de conditionnels »93. Tout ce légendaire contradictoire s’explique si l’on admet – et l’Histoire du règne de Louis XIV nous y oblige – qu’il est arrivé à Molière, de façon posthume, la même mésaventure qu’à Triboulet, le plus illustre des bouffons du Roi de la Renaissance. Défini comme fol du Roy par Rabelais, Triboulet a été transfiguré et immortalisé par Victor Hugo qui, dans le Roi s’amuse, donnant libre cours à sa fantaisie, en a fait un personnage sans commune mesure avec son modèle historique. Et ce que l’historien Alfred Canel écrit sur la gloire posthume de Triboulet vaut pour celle de Molière : « La littérature moderne a mis tant de bonne volonté à embellir la physionomie de Triboulet, que non seulement tout le monde, mais encore la plupart des historiens qui en ont parlé, ont donné, je le répète, sa légende bien plutôt que son histoire »94.
Parmi tant de masques qu’a portés Molière et que la postérité lui fait porter, il faut tâcher de choisir un visage qui puisse s’intégrer dans le contexte de son époque. En raison de tout un immense faisceau d’indices précis, graves et concordants, et de témoignages cohérents et circonstanciés, nous pensons pouvoir dire que Molière fut à la Cour de Louis XIV et sur la scène du Palais-Royal, grâce à quelques plumes de l’ombre, notamment celle de Pierre Corneille, le Bouffon du Roi. Louis XIV l’a choisi pour cet « emploi » dès 1660 ainsi qu’un document le prouve95. Une autre preuve de son statut exceptionnel nous est fournie par les dédicataires de ses œuvres de 1661 à 1668 :
- L’Ecole des Maris (1661), à Monsieur, frère du Roi ;
- Les Fâcheux (1661), au Roi ;
- L’Ecole des Femmes (1662), à Madame, belle-sœur et maîtresse du Roi ;
- La Critique de l’Ecole des Femmes (1663), à la Reine mère Anne d’Autriche.
- Amphitryon (1668), au prince de Condé.
Qui, sinon le Bouffon du Roi, peut se vanter de la faveur des cinq personnages les plus importants du royaume, d’autant que chaque dédicace a été acceptée et généreusement récompensée ? Pour le moliériste Eugène Despois, « leurs noms suffiraient pour bien établir la situation nouvelle de Molière à la Cour »96.
Molière – l’homme et le comédien – incarna pour son temps le fol du Roy, celui que Rabelais appelait aussi le marosophe, c’est-à-dire le fou-sage. En se présentant publiquement à la fois comme l’incarnation de l’éternel Cocu et du non moins célèbre Prince des Sots,97 Molière a réussi, de son vivant, à être le dernier d’une longue lignée de bouffons du Roi. Grâce à une providentielle Révolution française qui a renversé l’ordre des valeurs, il s’est métamorphosé dans la mémoire et le romantisme inné des hommes, au fil de générations oublieuses des mœurs du XVIIe siècle, en une sorte de démiurge protéiforme. Ce demi-dieu théâtral nous restera à jamais insaisissable si nous ne faisons pas l’effort salutaire de ramener les choses à leur point de départ.
Notes et références
[1] L’apothéose de Molière, poésie, 1843.
[2] La Fête de Molière, comédie en un acte, en vers, 1860.
[3] Salon de 1847, Introduction.
[4] Article du 13 juillet 1863 ; rééd. dans Nouveaux Lundis, T. V, pp. 277-279.
[5] Molière : portrait de la France dans un miroir, thèse, 2004, p. 181.
[6] « Molière et Corneille », in Mercure de France, 16 décembre 1919, p. 606.
[7] La Vie privée de Molière, 1950, p. 155.
[8] Molière : portrait de la France dans un miroir, thèse, 2004.
[9] Molière, une vie, p. 190.
[10] Molière, nouvelles controverses sur sa vie et sa famille, 1886, p. 3.
[11] Mémoires sur la Cour de Louis XIV, p. 219.
[12] Expression utilisée par le sieur Pierre Bardou en 1744, à propos de Louis XIV. L’adjectif possessif "son" est significatif.
[13] Jean de La Fontaine, 1990, p. 45.
[14] Ancienne comédienne de la troupe de Molière, la très jolie et très libérée Marquise du Parc avait mauvaise réputation avant de s’amouracher de Racine. On sait qu’elle mourut jeune, de façon suspecte, et que Racine fut accusé d’avoir voulu pour des raisons de carrière à la Cour se débarrasser par le poison de sa maîtresse ou, peut-être seulement, de l’enfant qu’elle attendait de lui. En pleine affaire des Poisons, le Roi par amitié envers Racine fit taire ces accusations.
[15] La Carrière de Jean Racine, 1961, p. 556.
[16] Charles Jaulnay, L’Enfer burlesque (1677).
[17] L’abbé Roullé, curé de Saint-Barthélemy et docteur en Sorbonne, publie en 1664 Le Roi glorieux au monde, dans lequel il met en garde Louis XIV contre Molière qui, parce qu’il joue auprès de lui le rôle de bouffon, le détourne des voies de Dieu.
[18] « Trois moliéristes », in La Revue des Deux Mondes, 1884, T. LXVI, p. 704.
[19] Les Précieuses ridicules nouvellement mises en vers, 1660, préface, p. 16.
[20] Molière, 1962, p. 6.
[21] Molière et le roi, l’affaire Tartuffe, 2007, p. 44. Pour la citation suivante, p. 375.
[22] « La vie de Molière », in Jean-Baptiste Poquelin Molière, Collectif, 1976, p. 10.
[23] Molière, 1998, p. 676.
[24] Vie de M. de Molière, 1705
[25] Molière inconnu, 1886, pp. 32 et 205.
[26] In Le Moliériste, 1879, n° 3, p. 79.
[27] Œuvres de P. Corneille, 1862-1868, T. XI, p. XVI.
[28] Corneille, en son temps et en son œuvre, 1997, p. 442.
[29] Molière et sa troupe, 1852, p. 50.
[30] Cité dans Paul Lacroix, Iconographie moliéresque, 1876, p. XIX.
[31] In le Mercure de France, mai 1740.
[32] Vie de M. de Molière, 1705.
[33] Histoire de la littérature française au XVIIe siècle,1997, T. II, p. 630.
[34] La Comédie de Molière, l’auteur et le milieu, 1903, p. 308.
[35] Idem, p. 253.
[36] Molière utilise le mot « emploi » dans son Premier Placet au Roi. Pour Georges Couton, « le mot emploi a toujours une coloration officielle et ne peut pas désigner, je crois, la simple vocation de comédien. C’est que Molière est déjà un personnage officiel » Molière, Œuvres complètes, Bibliothèque de La Pléiade 1971, T. I, p. 1331.
[37] Dans sa Muse historique du 20 septembre 1665.
[38] La Comédie de Molière, l’auteur et le milieu, 1903, p. 271.
[39] In Le Moliériste, n° 61, p. 4.
[40] Etudes sur la vie et les œuvres de Molière, 1885, p. 218.
[41] Molière, 1900, p. 10.
[42] Molière, Bourgeois de Paris et Tapissier du Roy, 1946, p. 138.
[43] Le Roman de Molière, 1863, p. 127, n. 1.
[44] Molière, 1963, p. 163.
[45] Molière, ou l’essence du génie comique, 1929, p. 130.
[46] Louis XIV artiste, 1999, p. 143.
[47] Notice sur « Charles Varlet de la Grange et son registre », édition du Registre de 1876, P. XI. Dans Cymbeline, V, 5, le personnage du Devin dit : « Pour air tendre, nous disons mollis aer ! et de mollis aer nous faisons mulier, femme. »
[48] Dictionnaire de l’ancienne langue française du IXe au XVIe siècles, T. 5. Frédéric Godefroy, 1888 ; Kraus Reprint 1969 (T. V ; article MOLIERER p. 374, 3ème col.).
[49] Molière et le roi, l’affaire Tartuffe, 2007, p. 204.
[50] Molière, 1954, p. 90.
[51] Molière, 1998, p.186.
[52] Une épigramme compare Molière à Socrate, et Baron à Alcibiade. Plus explicite encore le pamphlet Les Intrigues de Molière et celles de sa femme ou La Fameuse Comédienne, histoire de la Guérin, 1688.
[53]« La Fameuse Comédienne (1688) : problèmes et perspective d’une édition critique » in Mélanges Grimm, Biblio 17, 1994, pp. 209 et 212.
[54] Les Points obscurs de la vie de Molière, 1877, p. 285.
[55] Molière et le roi, l’affaire Tartuffe, 2007, p. 52.
[56] Histoire de la littérature française au XVIIe siècle,1997, T. III, p. 326, note 1.
[57] Histoire de la littérature française, 1924, p. 525.
[58] Le Théâtre en France : histoire de la littérature dramatique, depuis ses origines jusqu’à nos jours, 1889, p. 212.
[59] Elomire hypocondre, 1670, acte I, scène 3.
[60] Idem.
[61] Cf. sur Google knol : « L’Affaire Corneille-Molière » et « Pierre Corneille, le Janus du théâtre ». Lire notre étude « Boileau, d’Aubignac, La Fontaine dévoilent la collaboration Corneille-Molière » sur le site corneille-moliere.org.
[62] Histoire de la littérature française au XVIIe siècle,1997, T. II, p. 812.
[63] Idem, p. 803.
[64] Mémoires contenant quelques particularités sur la vie et les ouvrages de Jean Racine (1747).
[65] Cf. le « Sonnet sur la mort de Molière » (1673).
[66] Cité dans Georges Mongrédien, Recueil des textes et des documents du XVIIe siècle relatifs à La Fontaine, 1973, p. 207.
[67] Le Verrier, Les Satires de Boileau commentées par lui-même, publiées avec des notes par Frédéric Lachèvre, 1906, p. 26.
[68] Molière, une vie, 1988, p. 364.
[69] Directeur de la troupe avec laquelle Molière partagera la scène du Petit-Bourbon puis celle du Palais-Royal, le farceur Italien Scaramouche fut, dit-on, l’ami de Molière. On reprocha à Molière de lui avoir pris son jeu et son maquillage. Un distique écrit sous un portrait gravé de Scaramouche atteste : « Il fut le maître de Molière/Et la nature fut le sien ». Pour son biographe Georges Bordonove, « il est singulier que, d’instinct, il [Molière] se soit choisi pour maître non pas un tragédien, mais un farceur, un amuseur de gros public. », Molière, génial et familier, 1967, p. 67.
[70] Dictionnaire historique et critique, 1697, article Poquelin.
[71] Chansons de Gaultier Garguille, avec introduction et notes, 1858, p. VI.
[72] La Guerre comique, 1663.
[73] Préface à l’édition des Œuvres de Monsieur de Molière, 1682.
[74] Cf. notre thèse inédite Molière, Bouffon du Roi et prête-nom de Corneille, éditée hors commerce par l’Association cornélienne de France, 2007 (mille pages).
[75] Cf. C’est ce que les médias appellent "l’affaire Corneille-Molière" ou "l’affaire Molière-Corneille", selon que l’on opte pour l’une ou l’autre précellence.
[76] Le Jugement des savants sur les principaux ouvrages des auteurs, 1686.
[77] Panégyrique de l’Ecole des femmes, 1663.
[78] Compagnon de Molière, Claude Chapelle a été plusieurs fois cité comme collaborateur de Molière. Le sieur Gabriel Guéret écrit : « Chapelle est fort utile à Molière et travaille à toutes ses pièces. » (La Promenade de Saint-Cloud, 1669). A la mort de ce poète si discret, son ami le médecin François Bernier constatera : « L’illustre Molière ne pouvait vivre sans son Chapelle ; il avait reconnu de quel secours lui était un critique de si bon goût.» (« Epitaphe de Chapelle », 1688). Pour l’historien Antoine Adam, « l’intimité des deux hommes fut assez grande pour qu’on ait parlé d’une sorte de collaboration. » (Histoire de la littérature française au XVIIe siècle, 1997, T. II, p. 643). Selon le moliériste Roger Duchêne, « de tous ceux qu’a connus Molière, Chapelle a certainement été le mieux placé pour l’aider […] et même lui apporter quelquefois une aide active pour terminer d’urgence une pièce en retard. » (Molière, 1998, p. 192). Mais, à juste titre, Pierre Corneille est soupçonné d’avoir eu une part prépondérante dans dix-huit pièces que Molière a signées (ou pas signées car à l’époque un nom en couverture n’avait aucune signification morale ou juridique).
[79] Précieux et précieuses, 1895, p. 115.
[80] Les points obscurs de la vie de Molière, 1877, pp. 331 et 335.
[81] Parmi ceux qui osèrent évoquer l’homosexualité de Molière, citons Ramon Fernandez (Vie de Molière, 1930, rééditée sous le titre Molière ou l’essence du génie comique, 1979) ; Jean Larnac (« Molière ou Mulier ? » in Cahiers du Sud, 1952, n° 311) ; Yves Giraud (« La Fameuse Comédienne, 1688 : problèmes et perspective d’une édition critique » in Mélanges Grimm, Biblio 17, 1994) ; Roger Duchêne (Molière, 1998)… Si aujourd’hui il n’est plus admis que Molière fut à vingt ans l’ami de Savinien Cyrano de Bergerac c’est parce qu’il a été démontré que celui-ci était homosexuel et "petit ami" de Claude Chapelle, le futur compagnon de Molière. Si l’on ne peut éliminer tout à fait Chapelle de la biographie de Molière, on pouvait sans grand inconvénient faire disparaître Cyrano de Bergerac. Sur cette question : « Un gay trio : Cyrano, Chapelle, Dassoucy », in L’autre au XVIIe siècle. Actes du 4e colloque du Centre International de Rencontres sur le XVII siècle, Université de Miami. Biblio 17 (117), Tübingen, 1999 (p. 265-275). Aussi Brigitte Porter Hamon, Tristan L’Hermite et Dassoucy (thèse) 1996 ; Jacques Prévot, Les Libertins au XVIIe siècle, 1998.
[82] Article du 13 juillet 1863 ; rééd. dans Nouveaux Lundis, T. V, p. 277.
[83] Sylvie Chevalley, « Armande Béjart, comédienne », in La Revue d’Histoire Littéraire de la France, 1972, p. 1035.
[84] L’auteur anonyme de La Lettre satirique sur le Tartuffe (1669) écrit : « Molière à son bonheur doit tous ses avantages,/ C’est son bonheur qui fait le prix de ses ouvrages ». Dans ce contexte, le mot « bonheur » est la figure de style typique du XVIIe siècle pour désigner Louis XIV.
[85] Molière et le roi, l’affaire Tartuffe, 2007, p. 364.
[86] Idem, p. 373.
[87] Molière, 1998, p. 721.
[88] In Le Moliériste, n° 83, 1886, p. 324.
[89] Georges Monval, directeur de la revue Le Moliériste, aimait à utiliser l’expression « dévots de Molière », cf, notamment Le Moliériste, 1879, n°1, p. 3.
[90] Molière, génial et familier, 1967, p. 84.
[91] Molière, 2007, p. 173.
[92 Documents sur "Le Malade imaginaire", 1880, p. 42.
[93] Molière : portrait de la France dans un miroir, thèse, 2004, p. 214.
[94] Recherches historiques sur les fous des rois de France, 1873, p. 121.
[95] Louis XIV lui alloue, sur les fonds de l’Epargne, « 500 livres tournois dont Sa Majesté lui a fait don pour lui donner moyen de supporter les frais et dépenses qu’il lui convient de faire en cette ville de Paris où il est venu par son commandement pour le plaisir et la récréation de Sa dite Majesté, et ce pour les six premiers mois de ladite année. » Pour l’éminent Roger Duchêne, d’après ce reçu, « Molière serait dès cette époque pensionné par le Roi qui aurait eu l’initiative de son retour dans la capitale, Monsieur n’étant que son protecteur apparent. » (Molière, 1998, p. 249).
[96] Œuvres de Molière, 1873-1893, T. III, p. 308.
[97] Le Prince des Sots était le chef des comédiens-farceurs de la confrérie des Enfants-sans-souci, dont la troupe de Molière est le dernier surgeon. Ces Comédiens des Halles de Paris s’étaient associés à la Basoche des clercs (dont est issu Pierre Corneille) afin d’offrir des satires qui rehaussèrent le niveau, plutôt médiocre, du théâtre des XVème et XVIème siècles. La Confrérie des Enfants-sans-souci, spécialisée, comme la troupe de Molière, dans la farce et la satire sociales, a été dissoute par Louis XIV en 1676, quatre ans après la mort de Molière.
Liens internets
Sur la polémique de l'attribution par le calcul de la distance intertextuelle :
"Corneille a ecrit 16 pieces representees sous le nom de Moliere"
Sur les travaux de l'universitaire Dominique Labbé :
"La distance intertextuelle et l’attribution d’auteur "
Sur l'attribution par la technique de la "reconnaissance des formes" :
Mathematical Methods for Attributing Literary Works when Solving the "Corneille-Molière" Problem
Molière « crucifié »
ou tel qu’on se le
représentait au plus
fort de la moliérorâtrie qui a régné sur les esprits
français de 1860 à 1930.
Dessiné vers 1880.